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Libre disposition des fonds : ce n’est pas la dépense qui fonde le droit, mais le besoin

Le principe de libre disposition des fonds est l’un des piliers du droit du dommage corporel : la victime doit être indemnisée selon son besoin, sans avoir à justifier de l’usage qu’elle fera des sommes allouées. La réparation intégrale ne repose pas sur la preuve d’une dépense effective, mais sur la reconnaissance d’un besoin réel, objectivé par l’expertise et apprécié par le juge.

Ce principe, pourtant ancien et essentiel, fait encore débat — en expertise comme devant les juridictions — où certaines pratiques tendent à imposer à la victime une charge de justification contraire à la philosophie même de la réparation intégrale.

En 2025, la Cour de cassation et le Conseil d’État rappellent d’une même voix ce principe essentiel :

  • La Cassation (Ass. plén., 27 juin 2025) interdit d’exiger des justificatifs pour indemniser la victime.
  • Le Conseil d’État (4 et 24 juillet 2025) confirme : qu’il s’agisse de tierce personne, d’aide aux études, de logement adapté ou de soins futurs, seule compte la réalité du besoin, pas la dépense effective. Cette convergence entre les deux ordres juridictionnels consacre une unité de pensée : la réparation intégrale repose sur la reconnaissance d’un besoin objectif, non sur la comptabilité des dépenses.

La libre disposition des fonds permet à la victime de rester libre dans l’organisation de sa vie et dans le choix des moyens de compenser son handicap. Elle peut recourir à un proche, salarier une aide, ou adapter son quotidien autrement — le droit n’a pas à contrôler ni à conditionner cette liberté.

Cette jurisprudence convergente n’invente rien : elle rappelle avec force un principe fondateur du droit du dommage corporel. Mais le nombre d’affaires portées devant nos juridictions suprêmes sur ce thème met en lumière une réalité pratique préoccupante : ce principe, pourtant clair, continue d’être méconnu dans les rapports d’expertise et dans certains jugements, où la victime se voit encore contrainte de prouver qu’elle dépense pour être indemnisée.

Pourtant, ce principe doit s’appliquer tant au stade de l’expertise qu’à celui de la liquidation :

  • l’expert doit apprécier le besoin fonctionnel de la victime, non les factures présentées ;
  • le juge doit liquider sur la base du besoin, non sur celle d’une dépense prouvée.

La réparation intégrale n’est pas un exercice de reddition de comptes, mais une restitution de d’autonomie et de liberté.

Cass., Ass. plén., 27 juin 2025, n° 22-21.146 CE, 4-24 juillet 2025, n° 471282, 472382, 476397, 498275