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Préjudice esthétique temporaire : la Cour de cassation consacre une conception élargie et autonome

Dans la pratique, le préjudice esthétique temporaire est encore trop souvent réduit, par les experts et les barèmes médicaux, à la seule présence de cicatrices ou mutilations.
Cette approche restrictive conduit à négliger d’autres atteintes pourtant évidentes dans la présentation de la victime aux yeux d’autrui : une boiterie, l’obligation de recourir à un fauteuil roulant, le port d’attelles ou de fixateurs, les troubles de l’élocution, les écoulements, les hématomes ou encore les postures contraintes.

Ainsi, nombre de victimes voient leur préjudice esthétique temporaire sous-évalué, voire purement écarté, sous prétexte que ces altérations seraient déjà indemnisées au titre d’une gêne fonctionnelle.

Par son arrêt du 24 septembre 2025 (n° 24-11.414), la Cour de cassation affirme solennellement que le préjudice esthétique temporaire ne saurait être circonscrit aux seules cicatrices visibles.
Elle confirme qu’il doit intégrer toute altération contraignante de la présentation de la victime aux yeux des autres, y compris les troubles de l’élocution et de la phonation, dès lors qu’ils imposent à celle-ci de se présenter dans un état physiquement altéré aux tiers.

L’intérêt de cette décision est de consolider une approche expansive et protectrice du préjudice esthétique temporaire.

Il ne s’agit pas seulement d’indemniser les marques superficielles – cicatrices, brûlures –, mais de réparer l’atteinte à l’image sociale de la victime, contrainte de se montrer autrement qu’elle ne le voudrait.

En censurant une cour d’appel qui avait refusé d’indemniser une patiente souffrant de graves troubles de phonation, la Haute juridiction réaffirme deux principes essentiels :

  • L’autonomie du poste de préjudice esthétique temporaire : il ne peut être absorbé par un autre chef de dommage.
  • Sa conception large : toute altération visible ou perceptible de la présentation de la victime aux tiers doit être réparée.

Peuvent ainsi constituer un préjudice esthétique temporaire :

  • la perte ou l’altération de la voix et de l’élocution,
  • une boiterie ou une paralysie transitoire,
  • les brûlures, hématomes ou cicatrices provisoires,
  • le port de pansements, attelles, fixateurs externes,
  • l’utilisation de cannes, béquilles ou d’un fauteuil roulant,
  • les écoulements de salive, toux à la déglutition, affaissement du tronc, spasticités visibles ou déformations posturales.

Toutes ces manifestations altèrent le « paraître » de la victime et affectent son image sociale, même de manière temporaire.

Cet arrêt constitue une étape importante vers une réparation plus juste et plus humaine du dommage corporel.

Le juge doit veiller à ce qu’aucune atteinte à la présentation de la victime ne soit ignorée : l’esthétique ne se limite pas à la peau, mais inclut la voix, la posture, les aides techniques visibles et l’ensemble des contraintes perceptibles par autrui.

La reconnaissance pleine et entière de ce poste de préjudice est à la fois une exigence de dignité pour la victime et une condition essentielle du respect du principe de réparation intégrale.

Et si l’expert n’est pas toujours disposé à suivre la conception large et autonome des postes de préjudices telle que définie par la Cour de cassation, il appartient alors à l’avocat de les faire valoir avec conviction devant le juge, afin d’assurer la pleine réparation intégrale du dommage corporel.

Cass. 1ʳᵉ civ., 24 sept. 2025, n° 24-11.414

https://www.courdecassation.fr/decision/68d392e20a396ba0a4747323