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Application de la Loi BADINTER

1-Application de la Loi BADINTER et régimes d’exception : « la notion de voie ouverte à la circulation »

La loi du 5 juillet 1985 s’applique dès lors qu’est impliqué un véhicule terrestre à moteur, ladite loi ayant un caractère exclusif d’application de tout autre régime de responsabilité (récemment rappelé Civ. 2e, 5 juillet 2018, n°17-19.738).

Toutefois, elle rentre parfois en conflit avec d’autres régimes d’exception.

Retour sur l’application de la loi Badinter en matière d’accident de tramway ou de travail.

a)Accident de tramway et notion de voie ouverte à la circulation

La Loi du 5 Juillet 1985, dite « Loi Badinter », régit l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation lorsqu’est impliqué un véhicule terrestre à moteur à l’exception notamment des chemins de fer et des tramways, circulant sur des voies qui leur sont propres et des accidents du travail.

Mais la Loi Badinter a vocation à s’appliquer même en pareilles cas si :

-L’accident de tramway s’est produit sur une voie ouverte à la circulation ;

-L’accident du travail impliquant un véhicule conduit par un préposé ou l’employeur et survenu sur une voie ouverte à la circulation.

Ainsi, la voie de circulation où a lieu l’accident emporte les conséquences importantes en matière  d’accidents de tramway ou de travail car l’indemnisation prévue par la Loi Badinter dite réparation intégrale est plus protectrice de la victime.

Par un arrêt en date du 5 Mars 2020, la Cour de Cassation rappelle qu’une victime percutée par un tramway peut bénéficier des dispositions de la Loi Badinter à condition que le tramway ne circule pas sur une voie qui lui est propre mais sur une voie ouverte à la circulation (Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 19-11.411).

La 2ième chambre civile de la Cour de Cassation avait déjà abordé ce sujet à plusieurs reprises en estimant qu’un tramway circulait bien sur une voie propre dès lors qu’il : « circulait sur une voie ferrée implantée sur la chaussée dans le couloir de circulation qui lui était réservée, délimitée d’un côté par le trottoir et de l’autre par une ligne blanche continue » (Civ.2ième 18 octobre 1995 n°° 93-19146) ou encore avait également estimé que lorsqu’un tramway traversait « un carrefour ouvert aux autres usagers de la route, il n’était plus dans une voie propre » (Civ. 2ième 16 juin 2011 n° 10-19.491).

En l’espèce, la victime invoquait le fait que la voie de tramway présentait un passage piéton et traversait, un peu plus loin, un carrefour ouvert à la circulation des autres véhicules.

La Cour de Cassation rappelle « qu’en l’espèce, la Cour d’Appel a expressément constaté que les rails sur lesquels circulait le tramway ayant heurté madame X… lors de l’accident du 24 décembre 2012, étaient traversés par un passage piéton et par un carrefour permettant la circulation des autres véhicules, de sorte que la voie n’était pas propre audit tramway et que la Loi du 5 Juillet 1985 était applicable ».

La Cour de Cassation précise « attendu qu’ayant relevé d’une part que le lieu de l’accident des voies du tramway n’étaient pas ouvertes à la circulation, et étaient clairement rendues distinctes des voies de circulation des véhicules par une matérialisation physique au moyen d’une bordure légèrement surélevée afin d’empêcher leur empiétement, que des barrières étaient installées de part et d’autre du passage piéton afin d’interdire le passage des piétons sur les voies réservées aux véhicules, qu’un terre-plein central était implanté entre les deux voies de tramway visant à interdire tout franchissement, que le passage piéton situé à proximité était matérialisé par des bandes blanches sur la chaussée conduisant à un revêtement gris traversant la totalité des voies de tramway et interrompant le tapis herbeux et pourvu entre les deux voies de tramway de poteaux métalliques empêchant les voitures de traverser mais permettant le passage des piétons, et retenu d’autre part que le point de choc ne se situait pas sur le passage piéton mais sur la partie de voie propre au tramway après le passage piéton, c’est encourir les griefs de moyens que la Cour d’Appel a retenu que l’application de la Loi du 5 Juillet 1985 était exclu dés lors que l’accident avait eu lieu sur une portion de voie réservée exclusivement à la circulation du tramway. » (Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 19-11.411).

Si en l’espèce, la Cour de Cassation valide la non application de la Loi Badinter, il est intéressant de relever que si le choc avait bien eu lieu sur un passage piéton traversant les voies de tram, il aurait fallu en déduire que la victime aurait pu bénéficier des dispositions de la Loi Badinter.

b)Accident de travail et notion de voie ouverte à la circulation

La notion de « voie ouverte à la circulation » est également importante dans le cadre de l’accident du travail.

En cas d’accident de trajet-travail, la loi Badinter s’applique. Mais quid de l’accident survenu entre un véhicule terrestre à moteur dans le cadre de l’exécution du contrat de travail ?

En effet, il résulte des dispositions de l’article L 411-1 du code de la sécurité sociale qu’ «Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise

L’article L 455-1-1 dispose quant à lui que  « La victime ou ses ayants droit et la caisse peuvent se prévaloir des dispositions des articles L. 454-1 et L. 455-2 lorsque l’accident défini à l’article L. 411-1 survient sur une voie ouverte à la circulation publique et implique un véhicule terrestre à moteur conduit par l’employeur, un préposé ou une personne appartenant à la même entreprise que la victime.

La réparation complémentaire prévue au premier alinéa est régie par les dispositions de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation

L’article 454-1, auquel renvoient les précédentes dispositions, ouvre la possibilité aux victimes et à leurs ayants droit de poursuivre la réparation de leurs préjudices à l’encontre de l’auteur de l’accident conformément aux règles de droit commun dans la mesure où les dits préjudices ne sont pas réparés au titre de la législation régissant les accidents du travail.

Deux conditions doivent en conséquence être établies pour prétendre à une indemnisation complémentaire sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 : l’implication d’un véhicule terrestre à moteur et la survenance de l’accident sur une voie ouverte à la circulation publique.

La preuve de la réunion de ces deux conditions incombe à la victime qui prétend à cette indemnisation complémentaire.

La notion d’ouverture à la circulation publique ne résulte pas d’un texte mais de la jurisprudence.

C’est une notion de fait que les juges du fond apprécient souverainement (Civ. 2e, 13 mars 1980, n° 78-14.454).

En outre, la Haute juridiction avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’application de la loi Badinter sur chantier caractérisé de une voie de circulation dite « restreinte »  : « Mais attendu que la cour d’appel, par motifs propres et adoptés, a constaté que l’accident avait été provoqué par la chute d’un élément transporté, lors du déchargement de la remorque d’un camion, sans l’intervention d’un appareil de levage, alors que le véhicule se trouvait arrêté sur un chantier ouvert à une circulation restreinte ; que la SAT, employeur, était la gardienne du véhicule dont M. Y…, son préposé, était le conducteur, sans que le domaine de l’action prévue par ce texte soit limité au seul cas où la victime n’est pas le conducteur du véhicule impliqué ; que la loi du 5 juillet 1985 était manifestement applicable, de même que l’article L. 455-1-1 du Code de la sécurité sociale » (Civ. 2e, 29 mars 2006, 03-19.843, Publié au bulletin)

Très récemment la Cour d’Appel de COLMAR a confirmé que l’article L455-1-1 du Code de la Sécurité Sociale ne prévoit pas que les recours de la victime ne pourrait être exercé contre l’employeur mais il vise les cas où un recours contre l’employeur serait voué à l’échec, l’employeur n’étant pas tenu à indemnisation lorsque le conducteur du véhicule impliqué dans l’accident est un préposé ou une personne appartenant à la même entreprise que la victime et que l’accident s’est produit alors que cette personne n’était pas sous le lien de subordination de l’employeur. (Cour d’Appel de COLMART 2ème chambre civile, section A, 28 mai 2020 – n°18/04424).

Ainsi, selon une jurisprudence constante, cette notion aux conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985 sur l’indemnisation des victimes d’accident de la circulation recouvre bien les parkings ou voies privées de dessertes dès lors qu’y évoluent des véhicules même en nombre limité.

Le fait en l’espèce que le parking où a eu lieu l’accident n’ait été accessible qu’au personnel des entreprises ayant des locaux sur le site de l’aéroport muni d’un badge n’empêche pas que soit qualifiée de voie ouverte à la circulation publique au sens de l’article L455-1-1 du Code de la Sécurité Sociale.

C’est pourquoi, la victime devra être particulièrement vigilante afin de déterminer le régime juridique qui s’applique à la réparation de ses entiers préjudices afin de bénéficier du régime le plus protecteur auquel elle peut prétendre tant en matière de faute que d’indemnisation.

En effet, il convient de rappeler que pour les piétons lorsque la Loi Badinter s’applique, seule la faute inexcusable peut être reprochée, cette faute n’est quasiment jamais retenue en Jurisprudence, de sorte que si la Loi Badinter s’applique et que vous êtes piéton, votre réparation intégrale est quasiment assurée.

2-Le Conseil d’Etat valide le préjudice sexuel temporaire comme autonome du déficit fonctionnel temporaire

Conseil d’Etat, 27 juillet 2020, 5ième ch., n°429809, inédit au recueil Lebon

Contrairement à son homologue judiciaire qui considère que la notion de déficit fonctionnel temporaire recouvre la notion de préjudice d’agrément temporaire et de préjudice sexuel temporaire (récemment rappelé Civ. 1ère 7 octobre 2020 n° 19-18.086), le Conseil d’Etat par un arrêt en date du 27 juillet 2020, a validé l’autonomie de la notion de préjudice sexuel temporaire en sus de la réparation du déficit fonctionnel temporaire.

3-La perte de droits à la retraite doit être réparée au titre de la perte de gains professionnels futurs ou de l’incidence professionnelle.

Civ. 1ere, 7 octobre 2020, n°19-18.086

Par un arrêt en date du 7 octobre 2020, la première chambre civile de la Cour de Cassation a jugé :

« alors qu’en adoptant un euro de rente temporaire et en refusant ainsi à monsieur O…. la réparation de sa perte de droits à la retraite, qui n’ont pas été réparés au titre de l’incidence professionnelle, quand elle constatait qu’il ne pouvait plus occuper un poste administratif à mi-temps, ce dont il résultait forcément une perte de droits à la retraite, la Cour d’Appel n’a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article L 1142-1 du Code de la Santé Publique, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice. »

Ainsi, la Cour de Cassation affirme que pour satisfaire aux exigences de la réparation intégrale des préjudices de la victime, la perte de droits à la retraite qui est incontestable notamment en cas de travail à temps partiel du fait de l’accident doit être réparée soit au titre de la perte de gains professionnels futurs avec un euro de rente viager, soit, si un euro de rente temporaire est appliqué, dans le cadre de l’incidence professionnelle.

Par ce même arrêt, la Cour de Cassation rappelle que la réactualisation de salaire était justifiée lorsqu’il était constaté une progression de salaire dans les dernières années avant l’accident.

4-Rappel : l’indemnité allouée au titre de la tierce personne ne peut être réduite en cas d’assistance par la famille

Civ. 2, 16 juillet 2020, n°19-14.982

ar un arrêt en date du 16 juillet 2020, la Cour de Cassation rappelle que le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance familiale ni subordonnée à la justification de dépenses effectives.

La Cour juge que la Cour d’appel qui réduit le montant de l’indemnisation de ce poste de préjudice aux motifs que la victime ne justifie pas avoir employé une tierce personne salariée et avoir assuré la charge de congés payés, viole le principe de réparation intégrale sans perte ni profit de la victime.

5-Rappel de la méthode de l’imputation de la créance de la sécurité sociale devant les juridictions administratives (pension d’invalidité)

Conseil d’Etat, 28 septembre 2020, 5ième chambre, n°431541 inédit au Recueil Lebon

Par un arrêt en date du 28 septembre 2020, le Conseil d’Etat a indiqué que « eu égard à la finalité de la réparation d’une  incapacité permanente de travail qui lui est assignée par les dispositions de l’article L 341-1 du Code de la Sécurité Sociale, et à son mode de calcul en fonction du salaire, la pension d’invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l’accident, c’est-à-dire sur ses pertes de revenus professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité exclusivement ».

Le Conseil d’Etat rappelle « que dès lors le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d’une pension d’invalidité, ne peut s’exercer exclusivement que sur ces deux postes de préjudices et non pas notamment sur le poste du déficit fonctionnel permanent ».

Par ce même arrêt, le Conseil d’Etat rappelle la méthodologie d’imputation des créances :« il convient que le Juge calcule le préjudice de la victime in globo avant de déduire en une seule fois la créance de l’organisme de sécurité sociale sur les seuls postes soumis à recours subrogatoire par la caisse. »